Passé encombrant : communication de crise et Seconde Guerre mondiale

Un grand nombre de marques et d’entreprises ont pris conscience de l’importance de leur Histoire, voire même de la nécessité de sa restitution sous la forme d’un storytelling plus ou moins convaincant auprès de leurs clients et plus largement du grand public. Cependant, des pans plus ou moins sombres sont souvent occultés ou minimisés dans la construction d’une Histoire fédératrice et porteuse de sens de la marque. Et pour cause…

Lorsqu’on examine les récits historiques ou les chronologies des sites corporate, il est rare de voir clairement exposé les activités de l’entreprise durant les années sombres de la Seconde guerre mondiale. Les fondateurs d’entreprises activement impliqués dans la collaboration, les accointances politiques douteuses ou plus simplement l’opportunisme sont souvent passés sous silence. La plupart des marques préférant, tout logiquement, être associées à la Libération et à ses héros, ainsi Louis XIII de Rémy Martin rappelle l’engouement de Churchill pour son breuvage, sans s’appesantir sur les caisses de cognac livrées rue Lauriston en 1943.

Site Louis XIII

D’autres furent sanctionnées dès la Libération, ainsi Louis Renault accusé de collaboration et emprisonné, décèdera en prison quelques mois avant que sa société ne soit nationalisée en raison, notamment « des préjudices causés au pays ». Pourtant surgissent régulièrement des « affaires » qui pourraient inciter les marques à plus de transparence sur ce sujet. Les liens d’Eugène Schueller, fondateur de l’Oréal, avec la Cagoule puis avec le parti collaborationniste de Marcel Déat sont largement dévoilés dans un ouvrage du journaliste Michel Bar-Zohar, en 1997.

Plus récemment, Hal Vaughan, journaliste américain affirme dans « Sleeping with the enemy, Coco Chanel’s secret war » (Au lit avec l’ennemi, la guerre secrète de Coco Chanel) que la célèbre couturière aurait été au service des Nazis. Ce que le groupe Chanel dément fermement, en admettant certes que « ce n’était pas la meilleure période pour vivre une histoire d’amour avec un Allemand ». A l’occasion de l’affaire Galliano, une vidéo de la nièce de Christian Dior vantant les mérites du nazisme est exhumée.

Face à ses affaires qui viennent ternir les images des marques et leur réputation, les réactions diffèrent. Bien souvent traités sous l’angle de la communication de crise, ces éléments historiques, témoins d’un passé gênant, sont très rarement intégrés en tant que tels à la communication corporate.

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L’entreprise Hugo Boss a été confrontée à ce dilemme. En 1997, un article du Washington Post révèle son passé nazi : les collusions opportunistes de Hugo Ferdinand Boss avec le régime du Troisième Reich, pour lesquelles il sera condamné à une lourde amende et à une privation de ses droits civiques, ainsi que la confection des uniformes nazis par des travailleurs forcés. Le groupe décide alors de recourir au service d’une historienne, Elisabeth Timm, chargée d’étudier ce passé. Commence alors un long processus, où la firme décide de participer au fond d’indemnisation des victimes du travail forcé sans pour autant se résoudre à publier l’étude historique…Hugo Boss rompt également tout contact avec son historienne, dès lors qu’elle s’exprime dans la presse. Finalement, l’ouvrage d’un historien allemand, Roman Koester, financé par l’entreprise sera publié en…2011. Une synthèse de ce travail est disponible en ligne, tandis que la marque affirme clairement sur son site Internet son rôle dans l’emploi de travailleurs forcés.

http://group.hugoboss.com/files/Study_on_the_Companys_History_Abridged_Verson_en_final.pdf http://group.hugoboss.com/en/history_study.html

En France, suite à la publication d’éléments révélant le rôle d’Edouard Leclerc lors de la Seconde Guerre mondiale, Michel-Edouard Leclerc a décidé d’ouvrir les archives de la famille et du groupement des distributeurs indépendants à une historienne, rattachée à la Sorbonne. Le fruit de ce travail de recherches sera présenté sur un site Internet collaboratif où les Internautes disposant de documents relatifs à l’Histoire de l’entreprise, pourront enrichir son contenu.

L’histoire ne nuit pas qu’à l’image de marque, elle peut aussi directement porter atteinte à ses profits, comme c’est le cas de la SNCF, qui en raison de son rôle dans la Shoah risque de se voir fermer les portes du marché américain. Si, l’entreprise a reconnu dès 1995 son rôle dans la déportation de milliers de juifs, en faisant référence au discours du président de la République, lors des commémorations au Vel’d’Hiv’ « En tant que bras de l’Etat français, la SNCF reprend à son compte ces mots et la peine qu’ils reflètent pour les victimes, les survivants et leurs familles qui ont souffert à cause de notre rôle pendant la guerre », a ouvert ses archives en 2000 et a signé un partenariat avec le Mémorial de la Shoah, ces gestes restent insuffisants pour les associations américaines de victimes et certains élus. Cependant, la SNCF ne ménage pas ses efforts en déployant un véritable plan de communication « historique ». En janvier 2011, son président Guillaume Pepy affirme que la SNCF fut un « rouage de la machine nazie d’extermination » tout en soulignant la contrainte et la réquisition par l’occupant. En Californie et en Floride, la société finance des programmes éducatifs, assumant ouvertement son rôle et se dit prête à améliorer l’accès de ses archives au public. Son site américain consacre une large place à l’histoire de la Seconde guerre mondiale et s’engage dans une démarche de transparence.

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Qualifié d’opportunisme, ce processus peine à convaincre les américains. En mars 2011, des membres du Congrès déposent un projet de loi, qui ne verra pas le jour, visant à autoriser des poursuites contre la SNCF pour son rôle lors de la Seconde guerre mondiale. En mai 2011, le gouverneur du Maryland signe une loi obligeant les compagnies ferroviaires en lice pour des contrats avec cet Etat, à révéler leur rôle dans la déportation des Juifs.

Ainsi la stratégie actuelle de beaucoup de marques et entreprises ignorant leur histoire paraît périlleuse. Les activités des unes et des autres durant la Seconde guerre mondiale reviennent régulièrement sur le devant de la scène. Et si certaines se voient dans l’obligation d’assumer leur passé, cela n’est jamais sans dommage pour leur réputation et la confrontation tant avec son Histoire qu’avec son « public », témoin d’une faille dans les storytelling de marque, peut être violente.

http://www.sncfhighspeedrail.com/heritage/myths-facts/
http://www.rue89.com/2011/10/04/deportation-la-sncf-a-lheure-du-grand-pardon-aux-etats-unis-224853

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