Corseterie, l’oubliée de la lingerie

L’histoire de la lingerie est fascinante. Elle est au cœur des mutations de la société, de ses mœurs, de ses modes. Les apports d’autres cultures, les guerres, les principes moraux, les préceptes religieux, l’économie, l’hygiène, la naissance de l’industrie et même les Expositions Universelles l’ont façonnée. Elle est le révélateur de la position de la femme, de ses carcans, de ses libérations et de ses mutations sociales ou anatomiques.

L’oubliée : la corseterie

Le linge a été longtemps caché. Mais c’est le corset qui est allé au plus près du corps. Objet de maintien, de torture, de séduction, il a donné naissance à un savoir-faire très français. Aujourd’hui, la lingerie se mondialise et en oublie la corseterie. Ce métier va-t-il donc mourir ?

 

Bains, intimité, protection, érotisme

Avant le XIIe siècle, on trouve peu de traces de lingerie. Le linge est précieux, il est transmis de génération en génération ou recyclé en bandages ou rembourrages.

Puis les croisés reviennent du Moyen-Orient avec le bain. C’est alors qu’apparaissent les premières chemises. L’évolution de l’habillement et de ses tendances modifie ensuite les coutumes, dès le XIVe, où les variations deviennent plus fréquentes et où les costumes affirment le genre (masculin ou féminin). La silhouette féminine affirme d’ailleurs ses spécificités : épaules étroites, seins plus hauts et ventre bombé (symbole de maternité).

Agnès Sorel par Jean Fouquet

On trouve alors dans le linge féminin cottes (sorte de corset) et bandelettes jarretières. Le linge devient une composante autonome de la garde-robe au XVIe siècle. Sous Henri III, l’excentricité et le luxe s’immiscent dans la mode. Les bains se font rares, mais le linge doit être blanc, donc propre. La dentelle apparaît. D’ailleurs, un peu plus tard, Louis XIV croule sous la dentelle.

Anne d’Autriche et Louis XIV enfant

Au XVIIIe, la silhouette féminine s’allège. A la fin du siècle, les robes à l’anglaise rendent le corset inutile. Jusqu’alors, l’anatomie féminine était jugée faible et fragile. Le corset visait à redresser le corps. Venu des cours espagnoles austères, il devait également dominer la posture pour que la femme domine ses passions.

Mais au XVIIIe, le mot d’ordre est Volupté. Les œuvres pornographiques se multiplient.

Fragonard – 1770

L’alliance sexe et amour invite à l’intimité, dans la chambre à coucher. Le linge prolifère, ce sont d’ailleurs les femmes qui en ont le plus, les inventions un peu scabreuses voient le jour : il faut pousser les hommes et les femmes au devoir conjugal. C’est alors qu’apparaissent le bidet et les grands miroirs.

Bidet de la Marquise de Pompadour

On se voit en pied, on prend conscience de sa nudité. La fin du XVIIIe marque le retour à la nature, celle de Jean-Jacques Rousseau.

Marie-Antoinette – Chemise à la reine – dès 1770

Les eaux de toilette fleurissent, les tenues vont vers plus de souplesse et d’aisance. Mais avec Napoléon, la relance de l’activité et de l’économie du pays est une priorité. Il faut produire et consommer. Joséphine montre l’exemple.

Au XIXe, la silhouette redevient plus austère. La nuit, la chemise cède la place au pyjama. Quant à la femme, elle accumule sur elle les signes de richesse. Les activités bourgeoises alternent irrévocablement supervisions des personnels et mondanités. C’est dans la tenue que s’exprime le changement, avec une tenue différente pour chaque lieu, chaque circonstance.

Au Second Empire, la garde-robe est complexe. La femme se mue en forteresse. Elle ne doit montrer aucun centimètre de peau.

Sous le Second Empire

Elle se livre alors à jeu de cache-cache, utilisant de fines étoffes qui suggèrent. Le linge se fait plus érotique.

 

Sous le Second Empire

Hygiène

La notion d’hygiène est croissante à cette époque. Jusqu’alors, la préoccupation était surtout de conserver la santé. C’est ainsi que le pantalon est imposé pour les filles à l’école, pour le saut et la danse. Il se répand à la fin du XIXe, grâce à l’hygiène et la pudeur, puisqu’il cache ainsi le haut des jambes.

Pantalon fin XIXe – Musée McCord
http://www.mccord-museum.qc.ca/fr/collection/artefacts/M972.75.19?Lang=2&accessnumber=M972.75.19

La fin du XIXe est aussi marquée par la finesse de la taille, sculptée à coups de corsets. Les corsets sont fabriqués industriellement depuis le milieu du XIXe, mais les femmes aisées font réaliser leurs corsets chez des corsetières. Faits sur-mesure, ils s’appliquent tel un moulage pour corriger les défauts de la silhouette.

Corset Victoria – 1862

 

Les grandes révolutions

Cette période est riche à plus d’un titre pour le textile et le linge. Les femmes cousent et brodent : les bourgeoises pour faire leur trousseau, les plus pauvres pour rapiécer. Mais l’industrie textile est en pleine expansion. Les métiers mécaniques s’implantent, la dentelle est très à la mode, la couleur déferle. C’est aussi la grande époque des grands magasins qui deviennent les temples de la consommation. La lingerie étant étalée et exposée aux yeux de tous, le rythme de ses modes s’accélère fortement. Les corsets s’adaptent (en ½ corset, pour les bains de mer).

De nouvelles pièces sont créées. Les Expositions Universelles font naître les brevets dans tous les domaines de production. Et la lingerie n’est pas en reste. En 1889, Herminie Cadolle dépose son brevet de corselet-gorge : le soutien-gorge.

Corselet-gorge de Cadolle

Une révolution, car il propose de ne pas soutenir la poitrine par dessous mais de la suspendre avec des bretelles. A la suite, les américains diffusent largement des sortes de brassières, qui donneront naissance au mot « bra », désignant le soutien-gorge aujourd’hui.

 

Plaisir, libération, émancipation

La Belle Epoque apporte à la société la notion de plaisir. Toute bonne maison comporte son fumoir et son boudoir, mais les hommes sortent davantage, les femmes aussi. Le comportement sexuel féminin change. Les femmes ne se confient plus au curé, mais plutôt à leur médecin. Le flirt est à la mode. La lingerie prend une dimension érotique et s’affiche même en extérieur.

Corset droit – 1904

Les petites femmes de Paris inspirent les hommes. Les rayures et les rubans de soie accompagnent la couleur sur la lingerie, inspirée par les danseuses de cabaret des affiches.

Le corset, déjà mis à mal par les médecins affolés par les maladies de poitrine et les avortements, est « aboli » par Paul Poiret en 1906 qui émancipe la femme et lui crée des robes à taille haute.

Corset et anatomie

 

Les Robes de Paul Poiret par Paul Iribe – 1908

Lors de la 1e Guerre Mondiale, lettres et photos coquines s’échangent, la lingerie apporte un peu de douceur dans ce monde devenu cruel.

Carte postale 1914-1918

 

Cartes postales 1914-1918

Mais avec les deuils de la guerre puis la grippe espagnole, le noir domine subitement le textile.

Lorsque la femme se métamorphose ensuite en garçonne, la mode et la lingerie connaissent de grands bouleversements. Cheveux courts et seins aplatis, les femmes mises sur leurs jambes. Chanel, Vionnet, Patou sont les grands noms de l’époque.

Gabrielle Chanel

Tout va vite. Les femmes veulent du confort et de la praticité, adoptant une seule toilette pour le jour, une robe courte pour le soir. Malgré cette silhouette aux attributs féminins moins marqués, la lingerie se développe.

Lingerie des années 20

Le soutien-gorge est lancé. On cherche à avoir des seins plus petits. C’est alors que Madame Cadolle crée pour Gabrielle Chanel le boyish form, l’aplatisseur, encore nommé correcteur.

Innovations

D’autres innovations viennent perfectionner le soutien-gorge à cette époque. En 1926, Rosalind King a l’idée de séparer les seins. Et en 1927, Ida Rosenthal, qui allait créer avec son mari la Maiden Form Brassiere Company, rationnalise les profondeurs de bonnets (qui deviendront ensuite A, B, C, D,…).

Ida Rosenthal – 1928

Seins suspendus par les bretelles, seins séparés et profondeur des bonnets pris en considération : les trois grands atouts du soutien-gorge étaient enfin formalisés.

Malgré ces considérations anatomiques, de praticité, malgré la disparition de la poitrine, l’ornementation n’est pas moins importante dans les années 1920. Dentelles, fines broderies et couleurs raffinées agrémentent la lingerie. C’est aussi la période à laquelle arrive la culotte avec Petit Bateau (Maman les p’tits bateaux… la culotte, contrairement au pantalon, n’a pas de jambes). Elle se répandra dans les années 30 pour connaître la consécration dans les années 50. Seul carcan à noter alors : la culotte-gaine qui aplatit le bassin et tient les bas. Le brevet sur le porte-jarretelle date pourtant de 1878, mais il ne sera diffusé qu’à partir de 1920, alors que les femmes veulent montrer des jambes bronzées et portent donc des bas.

Les innovations continuent avec l’apparition du Lastex, fil très fin qui peut se tisser. On adapte les métiers à tisser. 1933 voit le lancement de la gaine Scandale : la 1e gaine entièrement en tissu élastique. C’est un succès.

Publicité Gaine Scandale – 1934

La gaine est produite industriellement et on relègue le corset aux fétichistes. C’est que le souci de plaire est omniprésent chez les femmes. Les conseils de beauté foisonnent. Avec l’influence d’Hollywood, la silhouette devient une obsession et on recherche avant tout des seins plantureux. La lingerie recherche surtout l’élasticité, la souplesse, les tissus luxueux et légers, avec beaucoup d’ornementation. Heureusement, à cette époque, la main d’œuvre est peu chère, crise oblige, mais très experte.

 

Lingerie-symbole

En 1942, au cœur de la guerre, la lingerie évoque plus que jamais le luxe parisien. La presse encourage les femmes à rester coquettes, fait l’apologie des nouvelles matières. Au quotidien, la lingerie se compose d’un soutien-gorge, d’une culotte, d’un porte-jarretelle et d’une combinaison couvrante. Mais les bas se raréfient. C’est alors la gloire du système D : les femmes se teignent les jambes et se font un dessin au fil au dos pour simuler les bas. Tous les moyens sont bons pour s’évader et ressembler aux stars de cinéma.

Alberto Vargas – 1941

 

Warner’s – 1943

Libération, extrême féminité et foisonnement

La Libération vient ensuite libérer une créativité longtemps bridée par le manque de moyens. Mais c’est surtout le New Look de Christian Dior qui vient bousculer les codes et remettre les attributs féminins au devant de la scène : taille fine, hanches épanouies, poitrine en avant. Ce sera l’idéal de beauté jusqu’en 1965.

Le New Look de Dior – 1947

C’est aussi l’époque du bikini, du balconnet (fruit de la collaboration de Marie-Rose Lebigot et de Carven), du soutien-gorge pigeonnant de Lejaby, de l’utilisation massive du nylon, des seins pointus, du combiné (sorte de gaine pour aller sous les vêtements moulants), de la guêpière (encore une invention de la Maison Cadolle).

Le bikini – par Paul Bernius – New York Daily News – juillet 1947

De nombreuses marques voient le jour à cette période : Rosy (1947), Aubade (1958), Lou (1946).

 

Lou par Brenot – 1953

Révolution fatale

La fin des années 60 emmène la France dans une révolution sociale qui bouleverse la lingerie au point de réellement mettre à mal de nombreuses maisons.

Dotée d’un fort pouvoir d’achat, la jeunesse rejette les codes de l’élégance des années 50. Twiggy devient le nouvel emblème féminin : pas de seins, pas de fesses, pas de hanches, elle est presque androgyne.

Twiggy par Helmut Newton

Les conséquences sur la lingerie sont énormes : les soutien-gorge sont symboliquement brûlés, le panty remplace le porte-jarretelle, les collants remplacent les bas. Les mots d’ordre sont fonctionnalité, souplesse et naturel.

Chantelle – panty – 1967

La lingerie fine disparaît. Au début des années 70, les fabricants de lingerie, qui n’avaient rien vu venir, s’écroulent. Seule Damart s’en sort grâce à ses tricots pour le 3e âge.

 

Le retour des clichés et des frous-frous

A la fin des années 70, les nouvelles jeunes filles découvrent avec curiosité une séduction qu’elles n’ont pas connue.

Christian Dior Lingerie – 1978

Les clichés reviennent, avec James Bond par exemple. Dans les années 80, alors que d’un côté les tendances sport/aérobic demandent des sous-vêtements confortables et aboutissent à une nouvelle lingerie à gros élastiques (type Calvin Klein), d’un autre côté rejaillissent des codes rétro : les tissus de vêtements et les frous-frous détournés sur la lingerie par Chantal Thomass, les corsets revisités par les grands couturiers comme Lacroix, Gaultier, Mugler ou MacQueen.

 

Chantal Thomass – Julie Malaure © AFP/DR/AFP

Technique, porno ou bio ?

De la fin des années 80 aux années 2000, on peut retenir 3 grands courants dans la lingerie. La technicité tout d’abord. La mise en avant du corps, objet de culte pendant les années 80, a demandé de nouvelles prouesses techniques à la lingerie : le Wonderbra, les aplatisseurs, les remonte-fesse, les textiles intelligents, les « seconde peau », les tissus anti-bactériens ou parfumés…

Wonderbra – 1995

Autre tendance importante : le porno chic. Aubade lance ses Leçons de séduction. Terry Richardson shoote pour Gucci. Antiflirt écarte les jambes. Le minitel rose laisse la place à Internet et ses sex-toys. De nouvelles marques de lingerie sexy ou érotiques apparaissent, comme Maison Close ou  Agent Provocateur.

 

Anti-flirt – 2007

 

Comme en réaction à ces deux tendances, le cocooning s’installe aussi dans les années 90 sur la lingerie. Le confort du home wear puis la tendance bio donnent naissance à des envies de bio, de nouvelles matières, de respect de la peau.

La fin d’une époque

Aujourd’hui, la mode se fait plus floue, comme pour le textile. Difficile de décrire LA femme en 2010, 2011… Les cibles des marques sont plus complexes et nettement plus variées. Alors qu’il y a encore 15 ans on pouvait cloisonner la femme-enfant, la femme-mère, la femme-sexy, aujourd’hui, la femme s’exprime plus volontiers dans sa complexité. Une marque l’a bien compris avant les autres : Implicite, choisissant d’illustrer ses campagnes par les lumières en jeux de voile de l’artiste Eric Cuppari.

 

Implicite par Eric Cuppari – 2007

Choisir sa lingerie revient à choisir la marque qui correspond à son pouvoir d’achat et sa personnalité ou son âge.

Le phénomène notable de ses dernières années ? Un marché qui est rentré dans une logique de mode démocratisée, une mode rythmée par les diktats de très jeunes filles, de jeunes bloggeuses, jeunes actrices. H&M, Princesse Tam Tam et Etam inondent leurs rayons de leurs petites culottes.

Comme pour le textile, il ne reste de place que pour les « empires ». Chantelle a d’ailleurs senti le vent tourner et est passé à temps du statut de l’entreprise/marque historique à celui de groupe incontournable en France, regroupant les marques Chantelle, Passionnata, Darjelling, Chantal Thomass et le réseau de distribution Orcanta.

Mais que reste-t-il de l’art de la corseterie ? Les nouvelles marques sont bien loin des codes du bien-aller.

Les anciennes, anciens fleurons de la France, ont laissé filer leurs petites mains, leur savoir-faire et même (bien qu’elles s’en défendent) leur conception à l’étranger. En Tunisie principalement, puis en Chine. Qui défend encore les innombrables pièces du soutien-gorge ? le talent qu’il faut pour les assembler ? la finesse de la belle dentelle ? les matières nobles qui n’irritent pas la peau ou ne se défont pas au lavage ? C’est un métier, un savoir-faire ancien, longuement nourri, qui disparaît très, très vite !

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