Culture Chanel – de la culture à la marque ?

Chanel propose au Palais de Tokyo une exposition exceptionnelle autour du parfum N°5. Par de nombreuses œuvres présentées de manière très simple, c’est un décryptage qui est proposé au visiteur.

Dissection d’une œuvre.

L’exposition Culture Chanel est exceptionnelle car les pièces montrées sont exceptionnelles.  Point de robes, point de paillettes, cependant. Le focus est sur N°5 et sa créatrice.

C’est une exposition exigeante. Et minimaliste. On ne va pas vous raconter « la belle histoire » d’une marque. A vous de rassembler toutes les pièces du puzzle.

 

Les détails sont soignés, l’exposition est élégante dans sa facture : après le jardin imaginaire (tout de même décevant, il faut bien le dire, avec un peu de vert et quelques pointes de mauve), on entre dans la grande salle où, dans des cubes de plexiglas, les œuvres sont sous scellés. Trois allées de transparence pour un ballet hésitant de visiteurs.

Photo Madame Figaro

Un livret blanc remis par de souriants hôtes en noir et un audio guide tactile seront les seuls sous-titres de ces 200 et quelques pièces présentées. Enfin, en point d’orgue, une salle de projection diffusant en boucle tous les films publicitaires du parfum et des bibliothèques, toujours en plexiglas, où chacun peut piocher un livre sur Mademoiselle, la marque, le parfum, les ingrédients, les lieux qui entourent de près ou de loin le fameux parfum. Et des tiroirs qu’on ouvre pour respirer quelques unes des notes présentes dans N°5.

 

Le symbole de l’exposition est le flacon pur et vide. On le retrouve sur les affiches annonçant l’exposition, sur la couverture du livret. C’est aussi la première pièce de la première vitrine.

On comprend vite le choix de ces cubes de plexiglas pour contenir les œuvres exposées. Leurs arêtes rappellent le flacon presque à l’infini.

Mais ce flacon reste vide, sans son jus. Sans son âme ?

 

Il est vrai que l’émotion a du mal à pointer.

C’est tout d’abord la foule qui l’écrase. Car la foule est présente (l’exposition est un événement et elle est gratuite).

C’est aussi ce minimalisme et cet alignement froid de pièces placées très bas qui éteignent leur âme. Même la majesté de « La Muse endormie » de Constantin Brancusi ne pourra vraiment s’exprimer.

Brancusi – Muse endormie

Pas de travail de lumière, pas de mise en exergue. Chaque pièce est un numéro et semble fragilisée, à peine protégée par sa transparente cage, comme si la valse des visiteurs pouvait facilement la fouler aux pieds.

 

Pourtant, c’est justement par l’émotion que l’exposition démarre, par la douleur en fait. Celle d’un amour perdu à jamais : celui de Gabrielle Chanel pour Boy Capel, qui l’avait initiée à la littérature, à l’ésotérisme, au bonheur de ne plus être seule. N°5 serait ainsi né de tout cela : l’absence, le manque mais aussi l’amour et l’éternité.

Boy Capel – 1911

 

La présentation de N°5 se fait par un foisonnement de références ainsi concentrées, dans le désordre et sans hiérarchie. L’exposition mélange les influences d’autrefois – Catherine de Médicis (qui aurait été un exemple pour Chanel), Venise – et les influences de l’époque – Dada (l’étiquette de N°5 ressemblant à un tract dadaïste),

Papillon Dada – 1919

 

Picasso (le flacon de N°5 empruntant sa modernité au cubisme), Apollinaire ou encore Jean Cocteau – sans toujours mentionner ce que Gabrielle Chanel a précisément vu, lu ou apprécié. Elle présente aussi les influences que Mademoiselle et ce parfum ont exercées sur son époque (le chiffre 5 chez Stravinsky par exemple) et plus tard, en prolongement, sur la publicité (comme lorsque Gabrielle Chanel devient la première égérie en publicité pour un parfum, son parfum).

 

Novembre 1937

 

Alors, dans le titre de l’exposition, Culture Chanel, s’agit-il de la culture de la marque, du N°5 ou de celle de Mademoiselle Chanel ?

Finalement, l’exposition pose d’emblée le postulat que créateur, marque et culture se mélangent. Elle met simplement à plat l’aventure du produit et de la marque : de l’initiation, du germe pas encore « idée », à la conception, à la réalisation, jusqu’à la maturation.

Comment la mise à nu de N°5 (l’exposition ressemblant presque à une dissection) provoque-t-elle autant d’intérêt ? Il est vrai que marques et culture se mélangent de plus en plus, mais il est rare que la présence de l’art soit aussi forte et aussi légitime dans une exposition dédiée à un produit. Cette démarche est sûrement rendue possible par l’éternité de l’œuvre. Car il existe une forte part d’éternité dans N°5. Même si un parfum se diffuse et s’estompe, son essence s’imprime. Le parfum, si proche du divin depuis toujours, touche notre sens le plus abstrait, le plus difficile à capter ; impossible à capturer. De plus, N°5 a une charge mémorielle extrêmement forte. Mais de quoi se souvient-on à l’évocation de ce nom ? De ce mélange complexe d’odeurs, non attaché à une fleur spécifique ? Ne retient-on pas plutôt l’aura, le mystère et l’allusion directe au grand prestige social ? L’odeur est d’ailleurs justement absente de l’exposition. Et ce n’est sûrement ni oubli, ni un hasard. Car le produit ne compte plus. Il s’agit de la légende d’une marque et de sa créatrice. N°5 était idéal pour l’exercice. Cette exposition fera sûrement date en matière de marque, de mémoire et de pérennité.

 

Exposition Culture Chanel

Jusqu’au 5 juin au Palais de Tokyo – Paris

http://5-culture.chanel.com

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