Bulgari au Grand Palais

« Bulgari – 125 ans de magnificence italienne » est la suite de la rétrospective organisée à Rome pour l’anniversaire de la marque en 2009. Enrichie, elle présente 600 pièces, dont beaucoup n’avaient jamais été exposées, issues de collections privées – dont celle d’Elizabeth Taylor – ou de la collection Vintage de Bulgari. Cet événement en fait le premier joaillier à s’installer sous la nef du Grand Palais.
Le menu est donc alléchant. Et que donne la visite ?

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Coup de chapeau tout d’abord pour la scénographie.
L’entrée est une gigantesque structure tel un diamant noir. Déjà impressionné, on est au cœur du gemme.

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Le voyageur entre ensuite dans une anti-chambre axée sur l’histoire (chronologie, portrait de Sotirio Bulgari le fondateur), puis dans le dédale de salles en écrin noir et feutré où les pierres peuvent nous éblouir à volonté.
Dans chaque salle, de grandes vitrines exposent les parures qui semblent flotter.
De chaque côté, des bâches imprimées en monochrome (cartes géographiques, croquis de bijoux, portraits d’actrices) et illuminées tamisent l’ambiance.
Sur le sol noir, des projections lumineuses (écusson de la maison, motifs floraux).

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Des écrans suspendus dans l’air proposent des films courts illustrant un sujet des vitrines.
Des murs d’écrans reprennent de vieux films dans lesquels les actrices apparaissaient parées de Bulgari.
Une musique ou un son d’ambiance en lien avec la thématique enveloppe doucement chaque recoin.
La plupart des salles sont prolongées de petits espaces de projection où l’on propose un film (montage de photos d’archives, extraits de presse, cartes postales, peintures, voire extraits de films) commenté pour illustrer d’un point de vue plus corporate la période exposée.
Au global, l’expérience est assez sensorielle, même si on ne touche à rien.

Comment la maison Bulgari se raconte-elle ?
Par ses créations pour commencer. L’exposition est un grand catalogue à regarder de près.
Par Cinecitta ensuite et le cinéma par extension. Si le cinéma italien de la Dolce Vita n’a pas fait la marque, il a sûrement fait sa position parmi les premières maisons de joaillerie mondiales. Voilà pour les fils conducteurs.
Pour le visiteur, l’intérêt premier sera donc de voir des trésors de près ! L’exposition a en effet comme un air de caverne d’Ali Baba.
On apprend aussi qu’il existe des saphirs de toutes les couleurs, des grenats mandarine…

Mais, l’exposition étant organisée chronologiquement, on assiste surtout à l’évolution, l’affirmation d’un style, de ses codes, à travers l’histoire du design et de la société italienne, européenne puis mondiale.
La visite commence en effet par quelques plateaux, boucles, bref des pièces d’argent de la fin du XIXe siècle travaillées par Sotirio Bulgari.

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Il apprend, avec son père, les bases de son métier. Puis, il s’intéresse aux pierres précieuses, ouvre sa boutique à Rome et s’oriente vers les bijoux.
Des années 20 et 30, on retient les arts décoratifs, les motifs géométriques. Et les bijoux transformables : un collier qui devient diadème, un bracelet qui révèle une broche. Et la fameuse bague Trombino, créée par le fils de Sotirio pour sa fiancée.

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En 1940, Bulgari revient à l’or jaune. Le commerce des pierres étant bloqué par la guerre, les bijoux gagnent en volume.

On passe ensuite aux années 50 et 60. Une première salle évoque le temps de la Dolce Vita, Cinecitta, les actrices aujourd’hui légendes avec la collection Anna Magnani, les films d’Elizabeth Taylor, Gina Lollobrigida…

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Mais la période est aussi une charnière dans le design et pour le style Bulgari. C’est ce qu’évoquent les pièces qui suivent : Bulgari s’éloigne de l’école française et trouve son propre style : un style inspiré du classicisme gréco-romain (Sotirio était grec et s’était installé en Italie en 1884), de la Renaissance italienne et de l’orfèvrerie romaine du XIXe. Bulgari utilise l’or jaune, de la couleur, beaucoup de couleurs savamment mélangées.

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Le changement est visible à travers les parures, mais aussi la collection Giardinetto. Et les tremblants : ces broches à thème floral, dotées d’un mécanisme à ressort, avaient la particularité de bouger par endroit. Marchez d’un pas un peu lourd à côté de la vitrine : vous verrez les petites fleurs frétiller et les éclats des diamants s’affoler tout autour de vous !

Un couloir affichant de nombreux dessins de parures…

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…nous mène ensuite vers une salle en point d’orgue dans la visite : la collection Elizabeth Taylor. Elle témoigne de la passion de l’actrice pour les bijoux de la marque. Les hommes se sont battus pour elle à coups de pierres précieuses, Richard Burton le premier.

Retour dans le couloir pour passer vers les années 70. C’est un mur rappelant de manière imposante une citation d’Andy Warhol qui donne le ton. La décennie fut celle de l’expansion mondiale de la maison, mais surtout d’une créativité éclectique – elle aussi mondiale. Accompagnés d’une chanson de Brigitte Bardot, nous découvrons comment Bulgari a cherché à désacraliser la parure de soirée, en mettant l’or jaune en avant sur des pièces plus imposantes, reflets de l’époque, comme les grands sautoirs, ou mêlé aux influences de l’Inde ou du Pop Art. On note également un retour vers les objets décoratifs, insolites : le bouchon de bouteille de champagne marque place ou les sacs « Melone ».

A cette époque, le style Bulgari est-il à maturité ? C’est ce que suggère la salle suivante, consacrée aux « icônes », c’est-à-dire aux thèmes redondants de la marque. Sans fil chronologique cette fois, l’exposition compile les Tubogas (rubans métalliques), les montres serpent (accompagnés des Ssssss des serpents en fond sonore), les monnaies, le cordon.

La dernière salle consacrée aux années 80 et 90 fait presque pâle figure. Certes, c’est le temps de l’opulence, de la couleur maîtrisée. Beaucoup de colliers ras du cou, des perles, l’inspiration de la nature avec la collection Naturalia, dans une expression plus douce que la Giardinetto ou l’art floral des années 20 et dans une sophistication plus épurée que dans les tremblants.
La salle 8 n’est pas une salle. C’est un immense cube de verre qui dévoile les dernières grandes créations Bulgari, présentant un début de XXIe siècle qui se cherche entre grands classiques et modernité.

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Est-ce pour cela qu’on reste un peu sur sa faim en cette fin d’exposition ?

Quelques manques sont tout de même à noter.
La légitimité – La légitimité artistique, tout d’abord. Bulgari fait davantage figure d’un témoin de son époque. Est-ce pour cela que le « Je vais toujours chez Bulgari parce que c’est le plus important musée d’art contemporain » d’Andy Warhol figure en lettres d’or, comme une caution absolue, à mi-parcours.
Même chose pour la légitimité de la légende. La mise en valeur des actrices de légende, en particulier Elizabeth Taylor, est judicieuse. Pourtant les anecdotes sont minces. Et répétées jusqu’à l’overdose. Comme cette réplique de Richard Burton : « Le seul mot qu’Elizabeth connaisse est Bulgari », répétée sur l’impression du mur, dans le commentaire de l’audio guide, dans celui du film…

L’histoire – La grande histoire. Certes, on nous explique que la seconde guerre mondiale avait provoqué la réquisition du platine, d’où l’utilisation de l’or jaune et le gel du commerce des pierres précieuses. Mais que dire de ces familles qui se sont séparées de leurs bijoux, de la récupération de l’or et des pierres ? Des diamantaires belges partis vers les Etats-Unis, l’Angleterre ? Et ensuite ? Sans aller jusqu’à la géopolitique africaine et les diamants du sang, les liens historiques dans la fabrication, le commerce, la société, pourraient être abordés.
La petite histoire. On nous parle de Sotirio, de sa vision, de ses fils. Qu’en est-il de la poursuite de la dynastie ? La famille est pourtant toujours présente dans la maison.

La fabrication – J’ai lu quelque part que l’exposition nous faisait entrer dans les coulisses de Bulgari. Hormis les quelques dessins dans un couloir, les quelques explications techniques sur la confection des parures (les heures passées sur le collier souple façon dentelle de la fin par exemple), on en sait peu sur le métier de Bulgari, ses petites mains, son processus créatif.

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Le groupe – Il est aujourd’hui très diversifié, avec pas moins de 52 sociétés. Et il veut traiter le luxe dans son ensemble : montres, accessoires, soie, maroquinerie, lunettes, parfums, hôtellerie… la liste est longue.

La vision d’entreprise aujourd’hui – La stratégie tout d’abord. Une stratégie d’intégration verticale qui, par exemple, permet depuis peu à Bulgari de produire ses montres de bout en bout. Ses valeurs ensuite. Bulgari s’engage pourtant, comme l’expose une page de son site Internet : face aux diamants de la guerre, suivant le processus de Kimberly. Face aux pierres provenant du Myanmar.

Reste la magie des pierres, des couleurs, qui font de l’exposition un conte de Noël pour élégantes énamourées. Allons, ne boudons pas notre plaisir ! Même l’amour est au rendez-vous : l’amour d’un métier (car c’est ainsi que naissent toutes les grandes maisons de luxe), l’amour des pierres, l’amour des femmes. L’amour d’un homme pour sa femme. Car la visite s’achève sur l’histoire vraie d’un mari amoureux, qui a acquis en secret un collier réalisé comme une dentelle de diamants et de saphirs multicolores (pour environ 400 carats, quand même) et l’a laissé être exposé dans la dernière vitrine. Il a profité de l’inauguration pour faire découvrir à son aimée que son nom était écrit juste au-dessous et donc que cette merveille était pour elle.

Photos : SB

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